quarta-feira, outubro 26, 2016

Les habitants de nulle part


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On dirait qu'il y a toujours, quelque part dans le monde, une raison assez forte pour inciter les gens à quitter leurs pays. Bien que beaucoup moins nombreux que les catastrophes et les guerres, les appels de l’amour pour quelqu'un ou pour une profession, incitent également à la migration. Dans mon cas, ce fut l’amour… Qui prend mari, prend pays.
Je n’avais jamais imaginé d’aller vivre si loin. Il n’est pas facile de quitter nos proches, nos amis et notre profession. Choisir où est vraiment le bonheur… le choix pour l’amour m’a coûté le deuil de tout ce que j’avais accompli dans la vie. Les jours précédant le voyage ont été pénibles. Les préparatifs étaient comme un rite de passage. Les derniers instants avant de partir ont été pleins d’émotion. J’ai eu droit à un scénario cinématographique que je n’ai même pas vu. De l’intérieur de l’avion, je ne pouvais pas voir ma famille, ils étaient loin, sur la terrasse panoramique de l’aéroport. Ma vision était trop floue, les yeux larmoyants. Plus tard j’ai appris qu’ils me saluaient, et ma mère agitait un mouchoir blanc. Elle pleurait aussi.
Pas tous de la famille pouvaient venir à mon mariage. J’ai envoyé la vidéo, ils voulaient tout regarder. En dépit de l’incontestable progrès de la technologie de communication, vivre de l’autre côté de la planète est encore très loin. Mais l’amour pardonne tout.
Mon histoire est joyeuse, nous sommes un couple heureux. Je peux visiter mon pays d’origine – quand je peux. Après dix-sept ans d’exil volontaire, on finit par trouver cela presque banal. Je suis chanceuse, il n’y a pas de comparaison possible entre mon cas et ces terribles histoires de migration en raison de tragédies, comme on voit dernièrement, des milliers de personnes qui essaient d’échapper aux massacres et à la famine. Beaucoup d’entre eux ne pourront probablement plus jamais revoir leurs familles, certainement réfugiées ailleurs dans le monde ou tuées dans les conflits sanglants qui détruisent leurs pays.
Je n’ai pu être avec ma mère dans les moments avant sa mort ni pendant les rituels d'adieu à ce monde. J’ai pu voir son corps mort, en direct... je l'ai vu grâce à l’internet. Je n’ai pas agité mon mouchoir blanc.
Nous sommes si primitifs, encore si dépendants de notre propre poids... Nous n'avons pas la légèreté de la pensée qui, en fractions de seconde, voyage d'années-lumière. Arriverons-nous à ce stage un jour?
Des souvenirs qui ont marqué mon esprit, quand j’étais encore enfant, viennent à la surface quand je pense à l’exil… échos de moments douloureux de l’histoire de l’humanité. Il y a toujours eu beaucoup d’immigrants dans mon pays, mais j’ai témoigné un cas particulier chez nous, en chair et en os, et en chagrin. Une couturière autrichienne, qui travaillait à la maison des clients, nous a permis d’entendre l’accent de la Seconde Guerre Mondiale et ses conséquences. Gisela et son mari, un Allemand, avaient quitté l’Europe pour s’aventurer de l’autre côté de l’Océan Atlantique. Ils n’avaient pas d’enfants. Ceux qui restaient de leur famille ont continué à vivre en Allemagne de l’Est, sous le joug de l’ancienne Union Soviétique.
Peut-être parce que j’étais petite, je trouvais Gisela énorme, les mains beaucoup plus grandes que les dimensions auxquelles j’étais habituée. Sa voix aiguë, toujours dans une échelle plus haute que l’usuel, était plus surprenante que sa prononciation d’étrangère. L’élégance discrète des manières était remarquable, elle ne gesticulait pas beaucoup, donc elle prenait bien moins de place que chacun de nous, malgré sa grandeur extraordinaire. C’était une bonne personne, sans excès.
La situation des Allemands, même les innocents, était très difficile après la guerre. Le démantèlement de l’Allemagne nazie était une chose nécessaire, personne ne conteste cela. Mais essayons d’imaginer le peuple allemand qui a survécu dans un pays complètement détruit, portant un sentiment de culpabilité immense, en raison des atrocités commises par les nazis – la culpabilité qu’ils portent encore, même ceux qui sont nés après la guerre – et ils étaient sous le joug d’un autre régime fou, le communisme de l’Union Soviétique. Meilleure chance ont eu ceux qui étaient du côté ouest, pas le moindre doute là-dessus.
Ceux qui ont trouvé refuge dans les Amériques, où ils ont reconstruit leurs vies, ont été chanceux. Cependant, ils ont certainement souffert de la nostalgie.  Je trouve difficile d’échapper à ce sentiment.
J’ouvre une parenthèse : je ne parle pas des criminels de guerre qui se sont cachés dans le continent américain, parce que je ne peux même pas imaginer s’ils avaient un sentiment quelconque. Je ferme la parenthèse.
Gisela gardait le contact avec la famille en Europe. Cela devait lui apporter un grand réconfort. Elle avait appris que l'Allemagne allait beaucoup mieux, le pays avait ressuscité d'entre les décombres. Son orgueil blessé commençait à guérir. Une fois, elle a dit avec fierté : « L'Allemagne n’a pas des mendiants ». Je me souviens que nous avions critiqué ce commentaire, entre nous, comme si c’était une insulte à la nation où elle avait été si bien reçue. Est-ce que l’accueil avait été vraiment si bon ? Peut-être Gisela a dit cela par peur de devenir un mendiant. Pauvre... je comprends son sentiment d'insécurité ; c’est presque inévitable, lorsque nous vivons dans un autre pays, et même si nous sommes protégés par un système de soutien. Surtout quand nous n'avons pas d'enfants.
Lorsque son mari est décédé, Gisela a voulu retourner en Allemagne. Son beau-frère était aussi veuf, et lui avait écrit une lettre exprimant le désir de se marier avec elle. Une fois arrivée là-bas, elle n'a pas obtenu la permission de rester en Allemagne de l’Est (communiste), où son fiancé vivait. Le gouvernement l’a considéré trop vieille pour travailler, pour être productive. Sans d'autre choix, Gisela est retournée au pays qui l'avait accueillie. Elle nous a raconté, en larmes, ce rejet. Des années plus tard, Gisela est tombée malade, et c’est une famille de son pays d’adoption qui a pris soin d’elle jusqu'à sa mort.
Une histoire déchirante. Et il y en a beaucoup de bien pire.
C’est très triste quand un peuple perd tout, même sa liberté ; il est terrifiant quand un État autoritaire s’approprie de l'âme des personnes, et elles deviennent incapables de réagir. Jusqu'à ce que l’on atteigne un nouvel équilibre, beaucoup de souffrance est nécessaire dans la plupart des cas. Nous devons apprendre de l'histoire, car elle se répète. La tyrannie de l'État, de n’importe quelle idéologie, mène à la destruction. Tout le monde le sait, mais il me semble que nous sommes trop lents à réagir et le monde est encore plein de guerres et d’injustice, malheureusement.
En ces vieux jours de mon enfance, je ne pouvais pas calculer l’ampleur du chagrin d'un déraciné comme Gisela et de beaucoup d'autres qui quittent leur patrie pour s’aventurer dans des pays lointains n’ayant rien en commun, même pas la langue. Aujourd'hui, j’en ai une faible idée, car j’ai également changé de pays. Même si cela n’a pas été pour une raison dramatique. Je peux comprendre le « banzo » (mal du pays) des Noirs arrachés à l’Afrique… et comme des esclaves, une situation plus grave encore.
Bien qu'ayant été accueillie chaleureusement et même si je me suis assez bien intégrée à la société où je vis, je ne serai jamais complètement amalgamée avec les gens de mon pays d’adoption car c’est impossible de partager nos vécus et notre identité en tant que peuple; nous pouvons nous raconter nos histoires mais ce ne sera jamais comme avoir eu un parcours dans les mêmes circonstances. D’autre part, mes racines me manquent, ma famille, le lieu où je suis venue au monde, où j’ai grandi. Je trouve que ce n’est plus la même chose, tout a changé… peut-être moi-même. Ici et là, il y a un hiatus, une lacune que l’on ne peut pas combler.
Le temps ne revient pas en arrière pour que nous puissions vivre ce que nous avons manqué en notre absence. L'immigrant vit dans les limbes, sorte de nulle part. Il ne s'intègre pas complètement au pays d'adoption et perd le fil de continuité avec son pays d'origine. Il vivra nulle part, le restant de ses jours. 

Vive l'Amérique: version un peu différente, plus courte

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