segunda-feira, outubro 05, 2015

L'Automne sur les Plaines d'Abraham

Versão em português


« L'automne est un deuxième printemps où chaque feuille est une fleur. » Albert Camus


Aller à la ville de Québec, c’est comme parcourir le passé qui nous a façonnés; c’est comme revisiter les histoires qui ont forgé notre destin et sont devenues la vitrine de nous-mêmes. On n’est pas toujours fiers de tout ce qu’il est arrivé, mais on ne peut pas changer le passé. Au moins, il y a tant de rêves de justice qui ont vécu dans ces constructions solides, dans l’architecture de nos ancestralités.
Juste de se promener sur les Plaines d’Abraham, il y a quelque chose qui magnétise, surtout quand on sait qu’elles ont été la scène des batailles décisives pour l’avenir du Canada. Impossible de marcher sur ces champs sans penser à cela, malgré la paix que le parc nous transmet aujourd’hui.
C’est également émouvant d’apprendre que la citadelle a été autrefois lieu de réunions secrètes des Alliés, pour décider des stratégies qui allaient changer le cours de l’histoire de la planète, l'un de ces rencontres étant celle de Roosevelt, Churchill et le Premier Ministre du Canada, Mackenzie King, à l’époque où des plans pour mettre fin à la Seconde Guerre Mondiale ont été établis.
Absorbée dans ces pensées, je me promenais dans le parc un dimanche matin, le ciel bleu, bleu, sans nuages.  Je suis arrivée tôt pour profiter du silence, tandis que la ville semblait encore dormir. Le parc ne dormait pas. Toujours à l’écoute, il s’offrait généreux en petits soins, pour accueillir les visiteurs. Les mésanges, entre autres, avec leur habituelle éloquence, étaient toujours là, prêtes aux salutations matinales.
La nature était spécialement bavarde cette journée-là. Les feuilles automnales, tombées déjà en grand nombre, craquaient écrasées par mes pas, et celles encore accrochées aux branches des arbres résistaient au vent et murmuraient de vieilles histoires de souvenirs lointains, au soleil frais du petit matin. Je me suis assise sur un banc placé en haut, d’où je pouvais admirer la beauté du paysage. Devant moi, la vastitude du Fleuve Saint-Laurent était la toile de fond parfaite.
Je venais de commencer à lire un livre, et j’ai remarqué qu’une personne arrivait; avec une certaine hésitation, le monsieur choisissait un banc en face. C’était un vieux monsieur, j’ai pensé, puis je me suis corrigée: si je le considère vieux, il doit être très vieux parce que moi, je suis déjà vieille, même si je me sens encore jeune dans ma tête. Quand il s’est finalement assis, j’ai levé mes yeux discrètement pour le voir mieux, et en petit sursaut, j’ai vu qu’il me regardait également, avec un léger sourire. J’ai souri aussi et bégayé un timide bonjour.
Il m’a répondu et m’a fait savoir que j’avais la meilleure vue du parc, assise sur son banc favori. Je me suis levée rapidement et je lui ai offert ma place, je ne voulais que lire, n’importe où j’étais ce serait bon.
- Il y a de la place pour deux, si cela ne vous dérange pas – a-t-il dit et s’est assis à côté de moi – vous êtes une lève-tôt, madame, vous êtes arrivée avant moi.
- Excusez-moi, je suis de passage, je ne viens pas d'ici - je lui ai dit pour essayer d'être gentille et en même temps le rassurer du fait que le banc ne serait pas occupé tous les jours.
Et il a continué sa conversation, qui ressemblait plus à un rapport de vie, ce qui m’a fait conclure que je n’avancerai pas beaucoup dans la lecture. Mais cela ne me dérangeait pas, il avait l'air gentil et inoffensif et, clairement, il avait besoin de parler.
- Après ma retraite, je viens presque tous les jours, pour respirer de l’air pur du parc. Parfois, je venais avec ma femme, avant qu’elle ne tombe malade.
Il est resté pensif un instant et a repris:
- Aujourd’hui, je pense aux temps heureux de notre jeunesse. Ma femme et moi, nous avons vécu dans une époque où tout était plus difficile, il n’y avait pas toutes les ressources d’aujourd'hui pour élever une famille, mais les soucis étaient tous surmontables. Des temps plus pénibles sont venus et j’ai perdu ma compagne dans la bataille pour la vie. Justement moi qui ai sauvé la vie de beaucoup, je ne pus le faire pour l’être que j’aimais tant. Mais je garde le sentiment de mission accomplie, car j’étais toujours à ses côtés pour la réconforter et pour lui apporter tout ce dont elle avait besoin... Tout ce qui était possible.
Après la mort de sa douce compagne, il a vendu la maison où ils vivaient et, comme tant d'autres à son âge, a choisi de vivre en appartement, dans un immeuble de ceux construits pour les personnes âgées qui sont encore autonomes. C’est là qu’il espère poursuivre sans déranger personne, jusqu'à ce qu'il vienne le temps de rejoindre sa bien-aimée.
Et il a ajouté:
- Je suis désolé de vous déranger avec mes histoires; s'il vous plaît, continuez votre lecture; j’ai un rendez-vous, j’attends quelqu'un, je ne serai pas longtemps ici, aujourd'hui. Cela dit, il s’est penché en arrière, pas pressé.
J’ai lu juste quelques lignes, alors que mon voisin était assoupi. Peu à peu, d’autres personnes ont commencé à arriver au parc, on entendait les petits cris et les rires joyeux des enfants. Ma concentration s’est évanouie complètement au vol des beaux geai-bleus, qui lâchaient leurs cris pleins de vigueur. Un petit coup de vent a amené de petites feuilles de tremble sur lui. Elles sont tombées comme une pluie d’étoiles en or. J’ai pensé que notre dormeur se réveillerait, mais non, il devait être habitué.
Le soleil de dimanche montait paresseux et réchauffait le parc. J’ai regardé les arbres autour de moi et j’ai remarqué que les couleurs avaient déjà beaucoup changé. Du rouge en plusieurs tonalités, du jaune à l’orange, encore du vert… Les feuilles étaient brillantes, elles semblaient avoir leur propre lumière. L'automne était à sa plénitude, le cycle de la vie suivait son cheminement en beauté et, surtout, sans chagrin. Je me suis identifiée avec la nature, j’ai eu l’impression de m’intégrer à ce scénario splendide et complet dans sa dimension cyclique. Pour quelques instants, je n’ai pas eu besoin de me poser des questions, j’ai compris tout intuitivement, j’ai accepté ma condition humaine.
Un gros soupir a retenu le souffle du monsieur pendant un moment assez long pour qu’il se réveille de son état d’absence. Et il a remarqué une larme qui coulait, à son insu, de son œil gauche… Une lourde larme que ses doigts ont jointe instinctivement.
-        Docteur!
Il a eu un sursaut en entendant cette appellation, de plus en plus rare envers lui, après tant d’années de retraite. Il a regardé vers où venait cet appel inattendu et il a vu un monsieur, bien plus vieux que lui, qui se dépêchait à le joindre. En bonne forme, malgré son âge, le monsieur s’est approché vite, avec un grand sourire.
-        Est-ce que vous me reconnaissez? Cela fait longtemps, j’étais votre patient et vous m’avez guéri.
Son visage ne lui semblait pas inconnu, mais il ne pouvait pas préciser quand ni où il l’avait vu. Donc, il était soulagé que son patient s’identifie et il était encore plus content de savoir que tout s’était bien passé avec son traitement.
-        Et comment va votre santé maintenant? Vous semblez en très bonne forme.
Le vieux monsieur a fait un bref rapport de son état de santé, pour conclure rapidement que tout allait bien et qu’il était très heureux. Mais il ne pouvait pas rester longtemps, il avait un rendez-vous de dimanche avec ses enfants. Et il a ajouté que c’était un cadeau pour lui d’avoir rencontré encore une fois son médecin pour le remercier de tout. Ensuite, il a disparu vite dans son chemin vers les siens, comme si c’était un ange venu avec la mission de transmettre un message.
Après le départ de son patient, mon ami m’a avoué que ces retrouvailles avaient été une belle récompense; il était touché de voir ses efforts reconnus.
À ce moment, on a entendu les cris joyeux de ses petits-enfants l’appeler et il m’a expliqué que c’était son fils plus jeune, sa femme et leurs enfants, tous radieux de le rencontrer. C’était l’heure de partir pour son rendez-vous de dimanche, lui aussi.
Il a pris dans ses bras son petit-fils Jérôme, qui le regardait avec les beaux yeux doux de son épouse et sa petite-fille, Marie-Ève, lui a donné sa petite main. Elle aussi avait hérité quelque chose de sa grand-mère, le plus beau sourire qu’il n’y a. Son fils et sa belle-fille marchaient en avant, le grand-papa en arrière avec les petits-enfants et beaucoup d’histoires, ils sont partis lentement, en laissant des traces rayonnantes de vie dans le parc.
J’ai compris la sérénité de cet homme. Il a eu la chance de vivre dans un monde civilisé qu’il a aidé à bâtir. Ses enfants avaient été bien élevés, avaient bien choisi leurs compagnes et ils transmettaient ce bon héritage à ses petits-enfants. Il avait aidé à peupler la Terre avec de bonnes personnes et ceci valait le coup de vivre et de mourir en paix. Ce n’était pas inutile d’avoir fait de son mieux. Cette idée me semblait assez claire.
Je suis restée sur les plaines d'Abraham, j’attendais mon mari pour aller déjeuner. Il n’était pas encore mon heure de partir.       

Nenhum comentário:

Postar um comentário