Versão em português
Je ne sais pas si c’est parce que je vieillis, ou si
le fait de se rappeler du passé est typique des expatriés. Peut-être serait-il
parce que le carnaval au Brésil s’approche et les souvenirs se ravivent. C’est
curieux comment ils s’enchainent parfois et on se fait prendre dans un tourbillon
de mémoires.
Je ne dis pas que j’aurais aimé être là-bas. Non,
surtout pas ces derniers temps, le Brésil semble être réfractaire à l’ordre et au
progrès, c’est fou, ça fait peur, je l’avoue. Seulement la famille et les amis
pour me motiver d’y aller. Et cette nostalgie, j’y tiens, j’ai le droit de
l’avoir, elle m’appartient…
Aujourd’hui, le 26 janvier 2016, en
plein hiver canadien, le vent a tourné soudainement et souffle fort, en provenance
du sud. La température monte vite, on dirait que la nature a des bouffées de
chaleur.
Il ne faut pas se plaindre tout le
temps, on a un hiver bien doux, pas comme les années précédentes. On a eu un
bel été et un bel automne également. Le soleil était souvent au rendez-vous… De
quoi à voyager dans mes souvenirs.
À l’été, pendant mes jardinages, les
fleurs, ici et là, me transportent dans le temps, par le pouvoir des arômes.
Les odeurs sont difficiles à décrire mais on s’en rappelle. Il y avait des parfums
dans certains quartiers de ma ville natale, Belo Horizonte, des senteurs
d’arbre, je crois; je pouvais avoir les yeux bandés et je saurais où j’étais.
Ah... les petites fleurs d’avril,
tellement jaunes! Dans leur dignité sauvage, elles sentaient l’herbe et
poussaient partout : sur les ravins, les terrains vacants, les collines,
les cours arrières, même sur les rues. Comme si le soleil avait été déversé et éparpillé.
Par une belle journée d'été, je ne pensais même pas à cela, quand
un coup de vent également du sud, comme aujourd’hui, en rafales, a apporté un
vieux son, comme d’une école de samba qui s’entrainait à la « favela do
Morro do Pau Comeu ». Le son des tambours devenait faible, disparaissait,
puis devenait fort de nouveau, au gré des bouffées de l’air. Ce bruit
dérangeait parfois, il perturbait la concentration; mais souvent, je me
laissais aller dans la cadence, mentalement, sans me rendre compte. C’était
comme ça presque toute l’année, le rythme, en mode subliminaire, marquait mon
âme brésilienne pour toujours.
Il y a des mémoires qui restent
latentes depuis longtemps, suite à des évènements et à des sensations qui ont
contribué à nous façonner, sans que nous nous en rendions compte, et de temps
en temps relancent nos émotions et nos pensées, ravivent nos sentiments et
révèlent nos traces.
Eh bien, cela faisait si longtemps
que je n’entendais pas ces coups de tambour, mais ils étaient emmagasinés dans
un recoin de mes cachettes, prêts à sortir n’importe quand, pour danser la samba
ici même au Canada.
Par un geste instinctif, plus fort
que la raison, j’ai tourné les yeux vers la direction d’où venait le vent,
comme si j’allais voir un danseur de samba avec ses acrobaties, ou une fille
porte-drapeau, toute habillée en plumes, à tournoyer gracieusement, apparaître
tous les deux, à travers la végétation exubérante qui nous entoure, chez nous, pendant
l’été. Les arbres semblaient être dans le rythme, peut-être cachaient-ils leurs
tambours en arrière de leurs feuillages luxuriants.
Sans préavis, j'ai commencé à danser, j'ai essayé
quelques pas de samba, comme quelqu'un détraqué. Sans pouvoir associer ma
mise-en-scène avec les effets sonores qui m'inspiraient, mon mari n'a pas résisté
à l'envie de rire, un peu méfiant devant mon attitude soudaine... Serait-il la
pratique d'un rituel primitif que je ne lui avais pas encore révélé?
Pour ne pas avoir des conséquences irréversibles, je
me suis dépêché à lui demander d'où venait ce bruit-là. C'est comme ça qu'il a
reconnu ma danse, car elle au moins suivait le rythme. Bien sûr, j'ai essayé
déjà plusieurs fois de danser la samba, autrefois, mais j'ai toujours
l'impression que ma façon de danser est un peu différente, ça ressemble à une
danse amérindienne; probablement grâce à ma "brésilité", qui mélange
tout; ça fait penser un peu, peut-être, à la danse de la pluie. Et justement,
mes petites plantes avaient besoin d'un peu d'eau...
Les tambours rythmés que l'on
entendait venaient d'une vieille presse à foin[1] utilisée dans une ferme de notre voisinage.
C'est une sorte de tracteur avec des dispositifs pour comprimer le foin, en
produisant les traditionnels balles en forme de parallélépipèdes ou de
cylindres, qui sont, ensuite, collectés. C'est un travail difficile - porter
des "fardeaux" n'est pas facile. Mais ce sont de bons souvenirs de sa jeunesse
quand, avec sa famille et les amis, mon mari faisait le travail quotidien de la
ferme avant de prendre d'autres chemins dans la vie. Ils n’avaient pas de
nombreux moments de repos, mais c'étaient des activités saines, et ils s'entraidaient
pour survivre. Maintenant il y a des machineries qui font presque tout le
travail, mais quelques vieux tracteurs sont encore en usage.
Vivre ici me permet d'apprendre
beaucoup. Je me familiarise de plus en plus avec l'histoire du Canada. Je
trouve cela important pour m'instruire, sans regarder seulement mon nombril
brésilien. Ainsi, on comprend mieux comment se fait le cheminement de
l'humanité. Donc, je partage ces traits culturels avec mes lecteurs et j'espère
que ce ne sera pas inutile.
Tout a tellement changé depuis notre temps de
jeunesse! Bien que pas toujours pour le mieux, nous ne pouvons pas nier qu'il y
ait eu un certain développement et que la vie ait amélioré à bien des égards.
La technologie, par exemple, a beaucoup aidé. Sans elle, je ne pourrais pas
laisser mes mots et mes sentiments ici, comme beaucoup d'autres le font
également, afin qu'ils soient disponibles pour ceux qui voudront lire et, peut-être,
trouveront-ils de l'utilité ou de l'humour.
Nous
ne pouvons pas nous décourager, nous ne pouvons pas laisser mourir la samba. Je
fais ma part, je ne vais plus essayer de danser, promis.
[1] https://www.youtube.com/watch?v=k1GptrZ2qzg
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